La faim de l’âme

On rapporte qu’un vénérable Cheikh vivait il y a près de deux siècles à Mostaghanam, dans l’Ouest de l’Algérie. Cheikh Ben Aliwa était un homme humble qui puisait toute sa richesse dans une spiritualité intense et irradiante. Aussi était-il très aimé et sa réputation était telle que de nombreux curieux venaient, de toute part, le rencontrer dans sa zaouia.

Or un jour, il reçut la visite d’une délégation “d’importantes” personnalités françaises intriguées par sa célébrité. C’était des personnes de haut rang social qui n’étaient guère disposées à perdre leur temps “précieux” dans la cabane d’un indigène. Aussitôt assises sur les maigres nattes qu’on leur présentait, elles pressèrent le sage de leur exposer un “résumé” succinct de son enseignement. Soyons brefs et efficaces... Dites-nous en quelques mots l’essentiel de ce que vous enseignez, voulez-vous?

Alors le guide spirituel leur aurait répondu : 

Rien de plus simple : toute la vérité, tout ce qui se trouve dans le monde, est contenu dans le Coran. Encore plus simple: tout ce qui se trouve dans le Coran est contenu dans la Fatiha, la clé ouvrante, première sourate. Plus simple: tout ce qui est dans la Fatiha est contenue dans le premier Verset : Bismi Allah Rahman Rahim. Et ce verset est lui-même inclus dans la première lettre: Ba. Et cette lettre, voyez-vous, est inclus dans un point : le point sous la lettre du ba. 

C’est ce point qui comprend toute la vérité du monde. Un point qui ouvre sur l’infini. 

Voilà, c’est tout ce qu’il y a à savoir de mon enseignement.

Après un long silence pendant lequel ses visiteurs demeurèrent interloqués, il aurait ajouté :

Et pour aborder ce point qui résume le Tout, cet horizon de l’infini, il vous faudrait une vie de quête et de patience.

Ainsi, en effet, la question essentielle du sens de l’existence ne peut être “consommée” en recette prête à l’emploi, comme un vulgaire surgelé. Certes, beaucoup de petits “commerces du mystique” ont largement prospéré en vendantdu paradis emballé par avance, et notre monde cultive massivement l’idéologie du standard et du bonheur sur catalogue. Mais jusqu’à quand pourrons-nous fuir la rencontre avec nous-mêmes?

Il me revient à l’esprit la lettre qu’adressait Antoine de St Exupéry, de la ville d’Oujda où il résidait, à  un général inconnu. Le célèbre aviateur et merveilleux créateur du “Petit Prince”, exprimant son désarroi profond face à la primauté du matérialisme dans le monde et au déclin de la spiritualité, écrivait ceci : “Je suis triste pour ma génération qui est vidée de toute substance humaine... Il n’y a qu’un problème, un seul, de par le monde : rendre aux hommes une signification spirituelle... Redécouvrir qu’il est une vie de l’esprit, plus haute encore que la vie de l’intelligence. La seule qui satisfasse l’homme.”

Mais comment, dans un monde “formaté” sur l’apparence et la passivité, un monde impatient, chez qui la connaissance des autres passe par les dépêches et les tours opérateurs, comment, dans un siècle où est tant valorisé l’avoir, pouvons-nous protéger la spiritualité qui nous fait être?

Sommes-nous prêts à prendre le temps pour répondre à notre coeur? Répondre à cette faim de l’âme que n’assouvissent pas les gourmandises de la matérialité?

De leur naissance à leur mort, les êtres humains sont confrontés au mystère de la Création. Or derrière les voiles épais des quotidiens, au delà de nos distractions coutumières, de nos peurs et de nos paresses, il est une lumière de la vérité. 

Encore faut-il ne pas s’obstiner à garder les yeux fermés.

En ces temps où le corps est censé céder la parole à l’esprit, cherchons à ouvrir notre coeur pour que notre vue puisse s’éclairer...

Dr Siham Benchekroun

Novembre 2003